lundi 31 janvier 2011

Le procès : l'ordonnance du juge en référé

Retour sur ma désagréable affaire de chantier qui m'oppose à la société Paint and Co, représentée par M. Charles Tassin, depuis maintenant plusieurs mois. Petit rappel des faits... J'ai acheté en septembre 2009 un appartement, dans lequel j'ai engagé d'importants travaux de rénovation. Après quelques déboires, ayant aboutis à l'abandon du chantier par l'entrepreneur en mars 2010, je l'ai finalement assigné au tribunal en référé. J'avais demandé au juge plusieurs choses, dont la nomination d'un expert judiciaire. L'audience a eu lieu en décembre, et la décision m'a été communiquée par mon avocat récemment.

Voici donc à peu près à quoi ressemble une ordonnance de tribunal.

L'entête, pour commencer :
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE NANTERRE
RÉFÉRÉS
Ordonnance de référé rendue le 22 décembre 2010

Demandeur : <moi>
Défenderesses : <la société Paint and Co, sa gérante, Mme Tassin (qui n'ont pas comparus) et son assurance (qui était représentée par son avocat)>

Composition de la juridiction :
Président...
Greffier...
Statuant publiquement en premier ressort par ordonnance Réputée contradictoire mise à disposition au greffe du tribunal, conformément à l'avis donné à l'issue des débats.

Puis vient le contenu. Le document rappelle d'abord le contexte et les demandes :

Nous, ..., Vice-Président, après avoir entendu les parties présentes ou leurs conseils, à l'audience du 6 Décembre 2010, avons mis l'affaire en délibéré à ce jour :
Par une assignation délivrée le 8 novembre 2010 à la société Paint and Co ainsi qu'à Madame Marie-Catherine PINAULT épouse TASSIN (gérante de la société Paint and Co) et à la société <assurance>, Monsieur Hercule expose que :
Il a confié le 25 novembre 2009 à la société Paint and Co - dont <assurance> est l'assureur responsabilité civile et garantie décennale - les travaux de rénovation de leur appartement situé en rez de chaussée d'un immeuble <adresse>.
Rapidement des désordres, malfaçons et retards divers ont affecté le chantier ; Le litige a été soumis à un conciliateur de justice et un accord a été passé entre les parties ; la société Paint and Co n'a pas respecté ses engagements, en dépit d'une lettre de mise en demeure qui lui a été adressée le 10 juin 2010 ;

Sous le visa de l'article 145 du Nouveau Code de Procédure Civile (NCPC), Monsieur Hercule sollicite une mesure d'expertise afin de déterminer et d'évaluer les préjudices subis ;
Sous le visa de l'article 809 du NCPC il réclame la condamnation de la défenderesse à lui remettre les clefs de l'appartement sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
Il sollicite également la condamnation de la société Paint and Co au paiement d'une provision de 2.968 euros, ainsi qu'à la somme de 1.000 euros au titre des disposition de l'article 700 du NCPC ;

Bien que régulièrement assignés, la société Paint and Co et Madame Marie-Catherine PINAULT épouse TASSIN n'ont pas comparu ;
Représentée à l'audience du 6 décembre 2010, la société <assurance> a formulé protestations et réserves sur la demande d'expertise ;
Pour un exposé exhaustif des moyens, arguments et objections respectives des parties, il est fait expressément référence à leurs dires et conclusions tels qu'ils figuraient au dossier de la procédure à la date du délibéré.

Le document explique ensuite ce qui a motivé la décision :
MOTIFS :
1°) Sur la demande d'expertise :
En application de l'article 145 du Nouveau Code de Procédure Civile (NCPC), s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de fait dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de toute intéressé, sur requête ou en référé ;
En l'espèce, et sans anticiper sur le fond du litige présent ou à venir, il apparaît, au vu des pièces versées par le demandeur, que l'existence de désordres ou malfaçons dans les travaux conduits par la société Paint and Co est plausible ;
Il existe ainsi un motif légitime de Monsieur Hercule de recourir à une mesure d'instruction dans les termes indiqués ci-dessous ;
2°) Sur les autres demandes :
L'article 808 du NCPC permet au Juge des référés de prescrire toute mesure qui ne se heurte à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend ;
L'article 809 du même Code permet au Juge des référés d'accorder une provision au créancier si l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable ;
Tel est bien le cas en l'espèce, la demande de provision étant justifiée dans son principe comme dans son montant par les pièces versées aux débats (cf. notamment le constat d'accord du 4 mai 2010 et le constat d'huissier réalisé le 24 Août 2010), de même que la demande de restitution des clefs désormais indûment détenues par la société Paint and Co qui a abandonné le chantier ;
En outre, en s'abstenant de comparaître, la société Paint and Co ainsi que Madame Marie-Catherine PINAULT épouse TASSIN se sont privées de la possibilité de faire connaître d'éventuels moyens opposants aux demandes ;
L'astreinte pour la remise des clés, fondée en son principe, sera ramenée au montant suffisant de 75 euros par jour de retard ;
Vu les circonstances particulières de l'espèce, il serait inéquitable de laisser aux demandeurs la charge de la totalité de leurs frais irrépétibles ;

Vient enfin la décision :
PAR CES MOTIFS
Vue les dispositions de l'article 145 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- Désignons en qualité d'expert Monsieur... <adresse, téléphone, etc...>
avec mission de :
    - se rendre sur les lieux rez de chaussée de l'immeuble <adresse> chez le demandeur
    - se faire communiquer tous documents et pièces nécessaires à l'accomplissement de sa mission
    - s'entourer, si besoin est, de tout sachant et technicien de son choix
    - prendre connaissance des désordres, mal façons, non façons et non conformités évoqués dans l'assignation, constater s'ils existent, et le cas échéant en cerner l'origine ou les causes
    - décrire les travaux de reprise et procéder à un chiffrage desdits travaux
    - fournir tous éléments techniques et de fait de nature à déterminer les responsabilités encourues et évaluer les préjudices subis
    - fournir toutes les indications sur la durée prévisible des réfections ainsi que sur les préjudices accessoires qu'ils pourraient entraîner tels que privation ou limitation de jouissance
    - en cas d'urgence reconnue par l'expert, autoriser le requérant à faire exécuter à ses frais avancés, pour le compte de qui il appartiendra, les travaux estimés indispensables par l'expert, lequel dans ce cas déposera un pré-rapport précisant la nature et l'importance des travaux
- Disons que l'expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du Nouveau Code de Procédure Civile et qu'il déposera son rapport en un exemplaire original au greffe du tribunal de grande instance de Nanterre, service du contrôle des expertises, extension du palais de justice, 6 rue Pablo Néruda 92020 Nanterre Cedex, dans le délai de six mois à compter de l'avis de consignation, sauf prorogation de ce délai dûment sollicité en temps utile auprès du juge du contrôle ;

- Disons que l'expert devra, lors de l'établissement de sa première note aux parties indiquer les pièces nécessaires à sa mission, le calendrier de ses opérations et le coût prévisionnel de la mesure d'expertise ;

- Disons que, sauf accord contraire des parties, l'expert devra adresser à celles-ci un pré-rapport de ses observations et constatations ;

- Disons que l'expert devra fixer aux parties un délai pour formuler leurs dernières observations ou réclamations en application de l'article 276 du Nouveau Code de Procédure Civile et rappelons qu'il ne sera pas tenu de prendre en compte les transmissions tardives ;

- Désignons le magistrat chargé du contrôle des expertises pour suivre la mesure d'instruction et statuer sur tous incidents ;

- Disons que l'expert devra rendre compte à ce magistrat de l'avancement de ses travaux d'expertise et des diligences accomplies et qu'il devra l'informer de la carence éventuelle des parties dans la communication des pièces nécessaires à l'exécution de sa mission conformément aux dispositions des articles 273 et 275 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

- Fixons à la somme de 2.000 euros la provision à valoir sur la rémunération de l'expert qui devra être consignée par Monsieur Hercule entre les mains de Monsieur le Régisseur d'avances et de recettes de ce tribunal, dans le délai de six semaines à compter de la présente ordonnance, sans autre avis ;

- Disons que, faute de consignation dans ce délai impératif, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet ;
Et,
Vu les dispositions de l'article 809 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- Condamnons solidairement la société Paint and Co et Madame Marie-Catherine PINAULT épouse TASSIN à payer à Monsieur Hercule la somme de 2.968 euros à titre provisionnel ;

- Ordonnons à la société Paint and Co et à Madame Marie Catherine PINAULT épouse TASSINde remettre à Monsieur Hercule les clés de son logement sous astreinte de 75 euros par jour de retard passé le délai de 8 jours après la signification de la présente ;

- Disons que l'astreinte, au besoin, pourra être liquidée par le Juge des référés ;

- Condamnons solidairement la société Paint and Co et Madame Marie-Catherine PINAULT épouse TASSIN à payer à Monsieur Hercule la somme de 1.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

- Disons que les dépens de la présente seront à la charge de la société Paint and Co et Madame Marie-Catherine PINAULT épouse TASSIN

Fait à Nanterre, ... <signatures etc.>

Puis la fameuse mention :
EN CONSÉQUENCE
La République Française mande et ordonne à tous Huissiers de Justice sur ce requis de mettre les présentes à exécution.
Aux Procureurs Généraux et aux Procureurs de la République près les Tribunaux de Grande Instance d'y tenir la main.
A tous Commandants et Officiers de la Force Publique de prêter main forte lorsqu'ils en seront légalement requis.

Mon avocat va maintenant signifier cette décision à la partie adverse, par voie d'huissier.
En parallèle, mon assurance protection juridique, qui avance les frais d'expertise va verser les 2000 Euros de provision à mon avocat, qui les consignera auprès du tribunal, qui les versera ensuite à l'expert (pourquoi faire simple...).
Les prochaines étapes seront donc d'obtenir le paiement des sommes dues par la partie adverse, et l'expertise judiciaire. Pour l'instant, il me faut attendre que l'expert convoque tout le monde. Encore un peu de patience et je verrai bientôt le bout du tunnel. En effet, c'est après l'expertise que je devrais pouvoir reprendre le chantier pour enfin déménager.

mardi 4 janvier 2011

Audience en reféré

Depuis un mois, j'attendais cette date avec beaucoup de curiosité. Mon avocat avait fait signifier à Paint and Co l'assignation préparée, et il l'avait également "dénoncée" à la nouvelle adresse de M. Charles Tassin et son épouse, gérante de la société.
Entre temps, je n'ai eu aucune nouvelle d'eux. Mon avocat non plus. Celui-ci m'a d'ailleurs fait peur en m'appelant la veille de l'audience. N'ayant aucune nouvelle, il m'a expliqué que le plus logique serait que Mme Tassin se présente à l'audience en personne et demande le renvoi. En clair, ça veut dire qu'on aurait encore perdu quelques semaines.
L'audience était prévue à 9h30. Je me suis donc pointé ce matin au tribunal vers 9h. Une vingtaine d'affaires étaient à l'ordre du jour. La salle était déjà ouverte, et la majorité des personnes présentes étaient des avocats, facilement reconnaissables à leur déguisement costume. C'est un monde vraiment nouveau pour moi, avec sa population, ses coutumes... Beaucoup des avocats présents n'ont pas encore rencontrés leurs adversaires, voire parfois leurs propres clients (c'était mon cas, je n'avais jamais vu mon avocat - je lui avais seulement parlé par téléphone). Ils mettent donc bien en évidence leurs dossiers, essayant de repérer leurs contacts. Parfois, ils lancent même un appel au travers de la salle : "Y a-t-il quelqu'un présent pour l'affaire xxx ?". Ça va, ça vient, ça tourne, ça fait semblant de relire ses notes.
Puis entre l'huissier. Les avocats se piétinent poliment les pieds les les autres (dans le jargon, on appelle ça "faire la queue") pour récupérer leur dossier. Si j'ai bien compris, l'ordre de passage dépend un peu de l'ordre d'enregistrement auprès de l'huissier... mais aussi des relations que vous avez avec lui. Si vous le connaissez, c'est mieux. Donc une fois que tout le monde a récupéré son dossier, certains avocats y retournent pour voir quand ils passent et essayer de faire remonter un peu leur dossier sur le dessus de la pile.

Un coup de sonnette. Le juge entre, accompagné par son greffier. On se lève. Il nous dit de nous asseoir. A ma grande surprise, le brouhaha ne cesse pas. Les avocats continuent leur petit manège ("Vous êtes sur quelle affaire ?" - "Je cherche Mme xxx." etc...). Le juge appele "Affaire Trucmachinchose contre Machintrucchose" d'une voix "légèrement forte" (il parle distinctement, mais vu que personne n'a arreté sa discussion, il ne fait pas l'effort de parler plus fort que tout le monde). Pas de micro, les personnes concernées s'approchent du bureau où il siège (légèrement en hauteur sur une petite estrade... c'est lui qui préside, quand même). Les avocats n'hésitent pas à poser leurs dossiers sur son bureau (c'est pourtant lui qui préside...), et la suite se passe à voix normale, ce qui fait que dans le brouhaha ambiant, les gens qui sont poliments assis dans la salle (comme moi) n'entendent rien. Parfois, le juge demande un peu de calme, car il n'entend même plus les avocats qui sont à un mètre de lui. Les affaires s'enchaînent. Certaines prennent trois minutes, d'autres quinze à vingt minutes.

Mon tour arrive. J'accompagne mon avocat vers le bureau du juge. Personne de la société Paint and Co. Ni M. Tassin, ni Mme Tassin, ni avocat. Seul son assurance a envoyé un avocat. Mon avocat a exposé le problème et les demandes au juge en quelques minutes. Le juge s'est ensuite tourné vers l'avocat de l'assurance pour lui demander s'il avait quelque chose à ajouter. Rien. "Merci, 22 décembre" a alors dit le juge. Il fallait comprendre "Merci, la décision sera publiée le 22 décembre". C'était terminé.

Je ne m'attendais pas à un procès à l'américaine comme on en voit au cinéma ("Objection, votre honneur..."), mais de là à ne rien entendre de ce qui se passe, j'étais un peu déçu du spectacle.
Au prochain épisode, je vous donnerai la décision, et la suite de la procédure.